Margaux a 7 ans lorsqu’elle rencontre Peter Curran à la piscine. Bientôt, Peter l’invite à venir jouer chez lui et Margaux découvre un monde enchanteur, peuplé d’animaux fabuleux. Et Peter et Margaux deviennent les meilleurs amis du monde. Oui mais voilà : Peter Curran a cinquante-et-un ans. D’ami, il devient rapidement une figure paternelle, puis prend la place de l’Amant, initiant l’enfant à ses fantasmes sexuels. Pendant quinze ans, Margaux devra vivre avec le poids de cet amour manipulateur et malsain.
Tigre, Tigre ! a été beaucoup comparé par la presse a une version du Lolita de Nabokov qui serait racontée par Lolita elle-même. Or il existe selon nous une ressemblance encore plus troublante avec l’œuvre de J. M. Barrie : Peter Pan. Car qu’est donc la maison de Peter sinon une sorte de Pays Imaginaire, une ménagerie, où aucune des règles du monde des adultes n'a sa place ? C’est un terrain de jeux pour les Enfants Perdus, tous ces petits garçons et petites filles placés chez Peter. Tout comme Wendy, Margaux aime inventer des histoires : « l’Histoire » qu’elle élabore avec Peter tient une place centrale dans le texte. Peter, comme Peter Pan, refuse de grandir, refuse de vieillir, refuse de mourir. Il prend peur lorsque Margaux devient une femme. Pour lui, huit ans est le plus bel âge. Inès est une sorte de Fée Clochette, elle aime Peter et est jalouse de l’amour qu’il porte à Margaux. On peut d’ailleurs se demander si ce n’est pas elle qui alerte l’assistante sociale, comme Clochette révèle la cachette de Peter Pan à Crochet.
La ressemblance est à ce point troublante qu’on finit par se demander si cette autobiographie en est bien une. A cela s’ajoute l’incroyable talent d’écrivain de Margaux Fragoso qui fait de ce témoignage un véritable roman. L’auteur emprunte tour à tour les voix de Margaux enfant, adolescente, jeune adulte, dans une écriture toute en nuances. Elle réussit également, sans jugement, sans rancœur, sans apitoiement, à dresser un portrait de Peter Curran qui n’est pas une caricature de la figure de pédophile : l’homme est tour à tour solaire, pathétique, séduisant, répugnant, fascinant, ennuyeux. Le récit est écœurant dans sa crudité, perturbant dans son réalisme et, par là même, incroyablement fort.
Tigre, Tigre ! figure sur la liste des nominés du prix Médicis étranger 2012.
Lu dans le cadre du