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Critiques de livres

Critiques de livres

Par Pauline-Gaïa Laburte


Prières pour celles qui furent volées – Jennifer Clément / Note : 16/20

Publié par Pauline-Gaïa Laburte sur 21 Septembre 2014, 13:04pm

Catégories : #roman etranger

Prières pour celles qui furent volées – Jennifer Clément / Note : 16/20

RENTREE LITTERAIRE 2014

Elle s’appelle Ladydi mais, clairement, son histoire n’est pas celle d’une princesse de conte de fées. D’ailleurs, sa mère ne l’a pas prénommée ainsi par admiration pour la princesse des cœurs anglaise, mais par ressentiment contre les hommes, ces fieffés imbéciles qui trompent leurs femmes et les abandonnent sans pitié, que ce soit à Buckingham ou dans les montagnes de Guerrero, au fin fond du Mexique, là où Ladydi est née. Dans ce petit village séparé du reste du pays par une autoroute hideuse en forme de cicatrice, où les insectes vous font une seconde peau, et où les maisons sont hérissées de tiges de fer en guise de premier étage, il ne fait pas bon naître femme. Car Guerrero, ce no man’s land écrasé de soleil, est l’empire des barons de la drogue mexicains, mais aussi un « stock » de chair jeune et fraiche, un self-service dans lequel ils ne se privent pas de piocher à volonté. Les mères de la région ont donc appris à n’avoir que des garçons. Ou plutôt à maquiller leurs filles en laiderons, à dissimuler leurs formes, et surtout à les planquer dans des trous creusés dans le sol lorsque les nuages de poussière des 4x4 des trafiquants se forment à l’horizon. Tant bien que mal, Ladydi et ses amies grandissent dans ce monde sans pitié, sans hommes mais sans véritables femmes non plus.

Jennifer Clément manie à merveille une langue sèche comme le pays qu’elle décrit. Son style sans concession fait vivre devant nos yeux le paysage désolé des montagnes mexicaines et cet environnement terrible, avec ses morts mutilés que l’on retrouve abandonnés dans les arrière-cours et ses hélicoptères qui arrosent régulièrement le village de pesticide sous prétexte de détruire les champs de pavot. Chacun des personnages de femme qu’elle dresse, Ladydi, sa mère, ses amies et leur famille, qu’ils soient centraux ou secondaires, est campé avec réalisme, sans concession mais avec une tendresse un peu brutale qui s’étend jusqu’à leurs défauts. On s’attache à toutes ces femmes, paumées et sans avenir mais se démenant pour leurs filles, en particulier à la mère de Ladydi, rancunière, alcoolique, qui s’endort la bouche et le frigo ouverts, tandis que les bouteilles vides s’amoncellent derrière la maison sous un nuage de mouches. Des diables de femmes, loin d’être des saintes, ô combien admirables.

L’auteur nous fait suivre les traces de Ladydi du village à la grande ville, alors qu’elle prend son indépendance. Et c’est peut-être dans cette évolution que ce roman pêche un peu. La dernière partie du récit, qui nous raconte la vie de Ladydi en prison n’a plus grand-chose à voir avec le début, on se sent légèrement trahi dans la promesse de lecture. Peut-être ce passage aurait-il gagné à être développé plus longuement, pour lui donner une existence propre. Néanmoins, Prières pour celles qui furent volées reste un roman convaincant, original et très personnel, avec une fin sans happy ending. Mais c’est normal, ce que nous offre Jennifer Clément, c’est un instantané de la vraie vie.

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T
Merci d'avoir partagé. Je vais le lire
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